Les entreprises européennes face à la vague de l’activisme actionnarial
En juin dernier, Nestlé s’est fixé pour la première fois de son histoire un objectif de marge opérationnelle et a mis en place un programme de rachat d’actions à hauteur de 20 milliards de francs. Coïncidence ou non, ce programme créateur de valeur pour les actionnaires demeurait parmi l’une des revendications phares du fonds activiste Third Point qui faisait pression sur Nestlé depuis plusieurs mois.
Hyperactifs aux Etats-Unis, les investisseurs activistes s’attaquent désormais aux sociétés européennes. Selon J.P. Morgan, 327 campagnes d’actionnaires activistes ont eu lieu aux Etats-Unis au cours des 12 derniers mois contre 119 en Europe. Sorties de la crise beaucoup plus tard que les entreprises américaines, les entreprises européennes ne se sont pas toutes restructurées assez vite, faute de capacité d’investissement, et sont aujourd’hui moins chères et donc plus vulnérables.
Acteur désormais parfaitement intégré au paysage financier, l’activisme actionnarial connait une véritable montée en puissance et développe des approches jamais vues jusqu’à présent en Europe. Mais les entreprises ont-elles la capacité de faire face à ce risque ?
Un activisme actionnarial en mutation
L’objectif des activistes est clair : améliorer la performance économique de l’entreprise qu’ils ciblent. La gouvernance, la composition du conseil d’administration, le management, l’allocation des capitaux investis ou le parcours boursier sont autant de préoccupations sources du déclenchement de ces opérations. Leur intervention s’accompagne bien souvent d’une campagne médiatique importante destinée à mettre l’équipe dirigeante sous pression, comme TCI a pu le faire lors de l’acquisition de Zodiac par Safran. La chasse aux droits de votes d’autres actionnaires minoritaires ou encore la réclamation de sièges aux conseils d’administration sont les méthodes les plus courantes pour se faire entendre et peser dans les décisions de l’entreprise.
L’activisme actionnarial reste souvent perçu comme spéculatif, court-termiste, responsable du démembrement d’entreprises et de destruction d’emplois. Ou en d’autres termes des opérations qui ne favorisent pas la croissance durable de l’entreprise mais opèrent simplement un transfert de valeur. Mais il peut au contraire être vu comme un moyen d’apporter la contradiction à un management bien installé ou à des actionnaires de référence pensant d’abord à leurs propres intérêts.
Quoi qu’il en soit, cet activisme a connu des mutations importantes au cours des dernières années. Le regroupement croissant de fonds activistes et d’investisseurs institutionnels tend à opérer une synthèse entre des méthodes vécues comme brutales et une approche plus consensuelle, créant de fait un activisme plus constructif, au service d’un plus grand nombre d’actionnaires et au service d’une vision de plus long terme.
Un risque qui pousse à agir
Aux Etats-Unis, des types de protection comme les « poison pills », outils de dissuasion qui rendent une prise de contrôle plus difficile et onéreuse, ou encore les conseils d’administration échelonnés, avec droits de vote différenciés, sont monnaie courante. Ils demeurent moins répandus voire illégaux en Europe où les dispositifs anti-trust protègent la concurrence au profit du consommateur.
Les entreprises sont désormais sensibilisées à cette menace. La banque d’affaires Lazard vient même de mettre en place une nouvelle activité de conseil dédiée aux sociétés confrontées aux investisseurs activistes. Mais cette prise de conscience reste toute relative.
L’étude annuelle de Citigate Dewe Rogerson révèle ainsi que si 65% des entreprises européennes admettent avoir évalué leur vulnérabilité face à une approche activiste, seulement 35% d’entre elles assurent avoir mis en place une stratégie pour y faire face. Parmi les pistes évoquées : un dialogue plus régulier avec les actionnaires clés, un monitoring plus étroit du sentiment de marché, une transparence accrue en matière de gouvernance et également une plus grande pédagogie dans la documentation financière et juridique. Des chantiers que les entreprises européennes feraient bien de méditer dès à présent, avant que la vague activiste ne les submerge.
Antoine Denry, Managing Director Citigate Dewe Rogerson, membre du Cliff